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Antompindi Cocagne a toujours su ce qu’elle voulait. Après avoir convaincu ses parents d’étudier la cuisine, elle entre à l’école Ferrandi puis s’envole pour les Etat-unis pour poursuivre son apprentissage. A son retour et après avoir travaillé dans plusieurs endroits un constat s’impose à elle, la cuisine Africaine est méconnue du grand public et des chefs. De son prénom Antompindi elle a gardé « Anto » qui signifie femme, pour créer le chef Anto. Aujourd’hui chef à domicile, elle est aussi à l’origine du festival WE EAT AFRICA et participe activement à l’édition du magazine Afro-cooking. Les projets sont nombreux mais ont toujours la même ambition : faire connaître la cuisine africaine.

Comment est née l’envie de faire de la cuisine votre métier ? 

Même si je suis née en France j’ai été élevée au Gabon où une fille bien élevée doit savoir cuisiner. Dès l’âge de neuf ans ma mère m’a expliqué que quand elle n’était pas là, c’était à moi de la remplacer. Vers l’âge de quatorze ans quand il a fallut réfléchir à mon avenir je me suis naturellement tournée vers la cuisine. Mon père passait ses journées derrière un bureau, et ma mère nutritionniste s’occupait des problèmes de malnutrition. Je ne me projetais vraiment pas dans leurs métiers. Rester assise toute la journée ce n’était pas pour moi. En revanche je m’imaginais bien en cuisine. Il y a toujours une ambiance folle, on parle, on rit, on chante. Il y règne une certaine complicité. C’est donc de manière assez naïve, que je me suis dirigée vers le métier de chef.

Vous n’avez pas été déçue, car c’est un domaine qui est aussi réputé pour être assez militaire ? 

J’ai appris la brigade, le chef, le sous-chef, l’idée que chacun doit être à sa place et le « oui chef ». S’il y a de l’ordre il y a aussi de nombreux moments de plaisanterie. Il y a des règles et de la technique mais ça bouge ! On est debout, c’est vivant il y a toujours quelque chose à faire.

Vous avez appris la cuisine dans plusieurs pays au Gabon où vous avez grandi, mais aussi en France et aux Etat-Unis où vous poursuivez vos études, qu’est ce que vous a transmis chacun de ces pays ?

En Afrique j’ai appris à cuisiner avec l’instinct, en France à cadrer ma pratique et aux Etats-Unis à avoir des idées. Même si j’ai fait une grande école de cuisine française, mon apprentissage culinaire s’est fait au Gabon. Je faisais certaines techniques sans même le savoir. C’est à l’école que j’ai pu mettre un nom, et commencer à peser pour stabiliser mes recettes… La France a vraiment été le pays du savoir-faire, alors que les Etat-Unis m’ont appris à élargir ma vision. Ils ont une cuisine très métissée, ils n’ont pas peur de faire certains mélanges. Ça m’a beaucoup aidé par la suite pour moderniser la cuisine africaine.

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De retour en France, vous avez à coeur de remettre la cuisine Africaine sur le devant de la scène, c’est important pour vous ?

C’était une frustration. Après mes études à l’étranger j’avais pour ambition de devenir chef au Gabon, mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Les restaurants préfèrent embaucher des chefs blancs. J’avais parfois un meilleur CV mais j’étais une femme et je n’étais pas une expatriée. C’était un vrai coup dur. Après réflexion je suis revenue en France où j’ai travaillé en restauration et pour des traiteurs. J’ai été frappée par l’absence de la cuisine africaine. Il n’y avait ni ingrédients ni même une ébauche de plat. Je voyais les chefs s’extasier devant les produits asiatiques mais concernant la cuisine africaine, mis à part le Maghreb qui se limite souvent au Maroc, c’était le néant. Alors à un moment, plutôt que de me plaindre du manque de connaissance, je me suis lancée. Il fallait faire connaître cette cuisine.

Vous ne vous cantonnez pas à mettre en avant cette cuisine, vous la retravaillez aussi ?

Je savais que le goût de la cuisine africaine pouvait plaire, mais la présentation de certains plats peut rebuter. L’inconnu fait toujours peur, il fallait que je crée un pont entre notre cuisine et ceux qui ne la connaissent pas. J’ai décidé de garder le goût mais de changer le visuel. La cuisine est un langage, si vous voulez qu’un chinois vous comprenne il faut parler chinois. Si je veux qu’on comprenne cette cuisine, il faut que j’adapte la présentation. Certaines personnes de la communauté m’ont reproché cet ajustement, mais mon but c’est de créer l’ouverture et de casser les préjugés pour donner envie d’aller plus loin. Beaucoup de personnes pensent que notre cuisine est trop grasse mais la mayonnaise, la béarnaise et le fois gras ce n’est pas africain ! (rires) L’important c’est qu’on en parle !  

Justement pouvez-vous nous en dire plus sur la cuisine africaine ? 

L’Afrique se compose de 54 pays pourtant nous avons beaucoup de plats qui se ressemblent. C’est ce que j’explique souvent à mes clients, la cuisine existe depuis bien plus longtemps que les frontières actuelles. Le royaume du Congo français réunissait le Gabon, le Congo et la République du Congo qui partagent une cuisine commune. Ma cuisine n’est pas gabonaise mais plutôt panafricaine. Comme les bantousont énormément voyagé sur le continent ils ont transmis des recettes qui se sont adaptées aux environnements. Le mafé est un ragout qui au Mali se compose de viande avec de la pâte d’arachide alors qu’au Gabon où les fleuves sont nombreux ce sera avec du poisson. Les feuilles de manioc, appelées Saka Saka au Congo sont cuisinées avec des crevettes au Mozambique (Matapa), du lait de coco à Madagascar (Ravitoto), de l’huile de palme non raffinée au Gabon (Ayaga) , de la poudre d’arachide au Sénégal (Etodyé). On me pousse souvent à ouvrir un restaurant, mais honnêtement j’adore pouvoir expliquer cette cuisine à mes clients. La dégustation se fait souvent à domicile, les personnes sont plus accessibles et j’ai beaucoup plus de temps que si je devais assurer un service en salle !

Vous êtes aujourd’hui à la tête de nombreux projets, avez-vous rencontré des difficultés dans votre parcours ? 

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Si j’aime beaucoup mon métier ça n’a pas toujours été facile. Le fait d’être une femme noire a rendu les choses plus compliquées. J’ai arrêté la cuisine pendant quatre années. J’ai cumulé les intérims entre 2008 et 2010, mais personne n’embauchait. J’avais l’impression d’avoir fait tout ce parcours pour rien. J’étais déprimée. Je travaillais les jours fériés, les week-ends je n’avais plus de vie sociale… J’ai donc décidé de quitter les cuisines et je suis devenue attachée commerciale pour une entreprise de traiteur. Je m’occupais de l’administratif j’ai appris les devis, les factures, les bons de commande…  J’avais un rythme de bureau, une vie sociale, un salaire mais je n’étais pas heureuse. C’est mon mari qui m’a réveillée. Pour lui c’était inconcevable d’être venue en France pour cuisiner et de se retrouver dans un bureau. Il a insisté, et coïncidence l’entreprise dans laquelle je travaillais à l’époque déménageait et proposait de se séparer ceux qui ne souhaitaient pas suivre. J’ai saisie l’opportunité et de fil en aiguille j’ai trouvé des extras. Lors d’une mission assez intense pour Roland Garros je me souviens avoir eu un déclic. Alors que nous étions debout pendant plus de 12 heures, dans une température moyenne de quatre degrés, on courait partout c’était dur mais j’ai adoré ! (rires) J’étais à ma place, à ce moment j’ai su que j’étais née pour cuisiner.Vous avez aussi créé le festival WE EAT AFRICA ?

Là encore c’est naît d’une frustration. Le festival de gastronomie Taste of Paris n’accueillait aucun chef Africain ! Pourtant ils sont nombreux ! Je ne sais pas si c’est par manque d’intérêt ou s’ils font comme si nous n’existions pas … Pour remédier à ce manque de visibilité j’ai décidé de créer we eat africa. C’est important pour deux raisons, pour mettre les talents en avant mais aussi pour montrer que le métier de cuisinier n’est pas un travail de domestique. J’ai de nombreux jeunes qui me demandent de les aider à convaincre leurs parents. Avec le festival ils peuvent venir poser des questions.

2018 a été la première édition, les résultats ont été au rendez-vous ?

Ça été un succès fou ! On avait prévu un lieu pouvant accueillir jusque 300 personnes. Trois semaines avant l’événement on était complet, mon téléphone n’arrêtait pas de sonner. Et même lors de la conférence de presse, où la majorité des journalistes était venue « pour voir », tout le monde a trouvé ça génial. Ils n’imaginaient pas toute la diversité qui se cachait derrière la cuisine africaine.

Enfin si vous aviez un conseil à donner ? 

Je dirais la patience ! Quand on se lance dans un projet on est souvent pressé de voir les fruits de son travail. L’impatience peut mener à faire des mauvais choix ou à forcer les choses. Pendant deux ans je ne me suis pas versée de salaire, on invitait d’autres personnes que moi. On peut vite être découragé et penser que les efforts ne paient pas. Mais après deux années et demi je vois les résultats arriver. Il faut patienter et surtout garder son cap. On peut avoir tendance à se disperser ou à se défaire de certaines convictions.Beaucoup de personnes m’ont contactée pour de l’afro-fusion, si tout le monde le fait moi non. Parfois on est prêt à oublier certaines choses pour faire plaisir ou entrer dans le moule. Il faut accepter qu’on ne peut pas faire plaisir à tout le monde.

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Texte : Justine Werbrouck
Photos : Guillaume Dassonville

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Le Chef Anto
WE EAT AFRICA
Afro-cooking 
Des adresses pour cuisiner ou déguster la cuisine africaine :
– L’épicerie BAO 
– L’épicerie Joe & Avrels (Puteaux)
– Moussa l’africain (75001)
La cantine BMK PARIS BAMAKO (75010)
O petit club africain (Puteaux)