Si vous reconnaissez peut-être ce visage, c’est surtout sa voix et son rire qui vous parleraient. Emilie Mazoyer anime Shuffle, une émission musicale sur Europe 1, elle est aussi connue pour avoir animé la libre-antenne « Les Filles du Mouv’». Quinze année à Radio France, des émissions télé de TF1 à M6, et aujourd’hui une émission où le temps d’une soirée elle fait cohabiter France Gall et Noel Gallagher. Emilie aime mélanger les genres mais plus que tout électriser nos soirées. Et si elle prend plaisir à bousculer les codes musicaux, c’est sa vie qui se retrouve chamboulée avec l’arrivée de sa fille en 2015… Portrait exaltant d’une femme drôle, sincère et généreuse.

Tu es arrivée sur Europe 1 en 2016, cette année tu occupes plusieurs créneaux, la matinale auprès de Patrick Cohen mais aussi les soirées avec ton émission Shuffle de 21h à 22h, comment ça se passe ?

Ça se passe bien! Après Radio France, j’ai eu du mal à trouver du travail. Pendant deux ans j’ai eu quelques petits jobs notamment en Belgique mais en France je ne trouvais pas. J’ai toujours eu mes émissions, et les propositions étaient soit des retours en arrière, des choses intellectuellement peu réjouissantes, ou alors on me proposait d’être « la fille » aux côtés d’un animateur. J’ai eu le luxe de pouvoir refuser. Si j’avais été seule avec ma fille j’aurais pris le premier job qui passait. Après ce petit passage à vide je suis arrivée sur Europe 1 et j’étais contente de retrouver une grande station. Ma première participation autour du festival des Vieilles Charrues ne devait durer que trois jours en 2016, je suis finalement restée tout l’été avec Philippe Manoeuvre, ensuite j’ai enchaîné sur « Europe 1 Music Club », jusqu’à ce qu’une nouvelle direction arrive et me propose d’avoir mon émission Shuffle à la rentrée 2017.
Après deux jours d’antenne, Patrick Cohen me soumet l’idée d’une chronique à la matinale. J’ai eu un vrai cas de conscience, en principe on évite de cumuler le matin et le soir. Les emplois du temps ne sont pas évidents, et il y a ma fille. En même temps la matinale ça ne se refuse pas, surtout avec Cohen. Mon planning est donc un peu bancal mais le boulot est très gratifiant. Ce que j’aime c’est la possibilité de toucher deux publics différents. C’est agréable et c’est un petit challenge de s’adapter aux gens, le matin ce sont les personnes qui nous écoutent avant d’aller bosser et le soir c’est un public moins pressé, et plus rock’n roll.

Si aujourd’hui tu as réussi à te faire une place au sein de l’univers médiatique, tu as commencé comme standardiste au Mouv’ et gravi les échelons sans passer par une école de journalisme…  

Ils ne m’ont pas prise ! Après ma maîtrise d’Anglais j’ai passé le concours de l’école de journalisme de Toulouse mais ça ne l’a pas fait. Durant mon année de maîtrise j’avais plusieurs objectifs, réussir mon année et décrocher l’échange que proposait ma fac avec la Californie, être standardiste au Mouv’ et passer le concours d’école de journalisme. J’ai presque tout réussi mais j’ai loupé l’oral au concours de l’école.
Je me souviens très bien, à l’été 2002, mon année universitaire et mon job de standardiste touchent à leur fin. Alors que je fais mes adieux aux équipes du Mouv’ et je reçois la bonne nouvelle pour l’échange avec l’Université de Berkeley. Surprise, la radio me propose de faire des chroniques depuis la Californie. Je trouve ça génial et je saute sur l’occasion. Je faisais mes chroniques au téléphone, j’étais hyper fière ! Mi-août ma mère m’appelle et m’annonce qu’une enveloppe de l’école de journalisme est arrivée, elle l’ouvre et le verdict tombe. Ça m’a foutu un coup au moral… Quelques jours plus tard coup de fil du Mouv’ qui me soumet l’idée de continuer à la rentrée. A partir de ce moment-là, je me suis dit, c’est bon j’arrête les études, je vais faire ça sérieusement. J’avais une chronique tous les matins à 6h20 payée 50 francs, le graal ! Je me suis accrochée, j’ai eu deux chroniques, puis un remplacement le week-end, puis une interview à faire, et de fil en aiguille ça a fonctionné. C’est vrai qu’à chaque fois je suis tombée sur les bonnes personnes, je n’avais pas de famille ni de connexions dans cet univers médiatique, et je n’avais jamais fait de stage auparavant… Je ne suis pas très mystique comme fille, mais il doit y avoir un truc de karma.


Quinze années chez Radio France, des passages par TF1 et M6, aujourd’hui Europe 1,  un parcours impressionnant mais semé d’embûches, notamment lorsqu’il s’agit de reprendre ton poste après ton congé maternité ?

Les circonstances étaient bizarres. Quand je suis partie en congé maternité, ma radio c’était ‘’Le Mouv’ ‘’, avec une programmation plutôt rock. Et quand je suis revenue c’était ‘’Mouv’ ‘’, une radio hip hop, complètement différente, qui ne correspondait plus tellement à ce que je faisais. J’étais un peu démunie. J’avais fait des émissions sur France Inter, Toute la musique d’Inter, le Fou du Roi avec Stéphane Bern, mais à ce moment-là il n’y avait rien pour moi sur cette antenne non plus. Contractuellement, et par la loi, j’avais la possibilité d’aller à Mouv’, mais ça n’avait pas tellement de sens. On s’est donc séparés en bons termes, mais on s’est séparés. Peut-être qu’un jour je serai amenée à retourner à Radio France… mais à ce moment-là, en 2016, ce n’était plus possible.
Je me suis donc retrouvée vraiment conne, en me demandant ce que j’allais faire. Je venais d’avoir un bébé, ma vie changeait, je ne dormais pas assez, franchement c’était dur. Après on ne sait jamais, Et si je n’étais pas partie, Et si je n’avais pas eu mon bébé, Et si… Le Mouv’ serait de toute façon devenue une station hip hop, mais peut-être y a-t-il eu places à prendre au moment où je n’étais pas là ? Je ne sais pas, et je ne le saurai jamais.
En radio on dit qu’il ne faut pas s’encroûter! Je m’en suis bien sortie, j’ai retrouvé du travail dans une grande radio, mais je sais que je n’aurai pas cette chance deux fois, donc je ne ferai pas de deuxième enfant. Je ne veux pas revivre une telle période de doute.

Dans le paysage médiatique on voit souvent des femmes qui ne prennent pas ou peu de congé maternité, penses-tu que ce soit une pression pour les femmes ?

Je suis restée avec ma fille jusqu’à ses deux ans, en partie parce que je ne trouvais pas de boulot. Mais de toutes façons, j’aurais du mal à imaginer faire un enfant et retourner bosser 15 jours après. Impossible pour moi. Je ne juge pas celles qui le font par choix, mais si elles écourtent leur congé maternité parce qu’elles ont peur de se faire voler leur place, c’est un grave problème. La seule réponse que je peux te donner, c’est te dire de nouveau que je ne ferai pas un deuxième enfant. Quand tu veux être sur une grande radio nationale, avoir ton émission, des places, il n’y en a quasiment pas. Des tas de gens talentueux attendent leur tour, donc si tu pars six mois tu ne peux pas en vouloir à celles et ceux qui vont tout faire pour prendre cette place si chère, si rare. Je n’ai pas envie d’un congé maternité où j’appelle tous les jours pour vérifier si j’ai toujours mon job. Et puis au fond on est assez nombreux sur terre ! (Rires)

Une pression professionnelle qui se retrouve aussi sur le corps ?

Oui et je l’ai même expérimentée ! J’ai passé un casting quand Maya (ndlr sa fille) avait deux mois pour une émission sur France O. Ils cherchaient une nouvelle chroniqueuse, on était dix filles. Je n’étais pas en super forme, mais j’avais envie de tenter le coup. En arrivant à France Télévision, c’était un soir, assez tard, je suis tombée sur une maquilleuse qui m’a balancé des piques sur ma peau et sur mes cheveux. Avec le peu de confiance en moi que j’avais à ce moment là, j’ai rassemblé mes forces et je lui ai répondu « je ne vous demande pas votre avis, je vous demande de me maquiller. » Je me souviens d’avoir été choquée. Je venais d’accoucher, alors oui j’avais des cernes, des boutons, les cheveux un peu tristes, mais enfin c’est les hormones ! Le monde des médias est ravi d’avoir des femmes, content que les femmes aient des enfants, mais ils ne veulent absolument aucune conséquence. Tes enfants ne sont pas malades, tu n’es pas fatiguée, tu n’es pas grosse, tu n’as pas de boutons, tu n’as pas d’horaires…
Autre exemple, au printemps 2015, j’étais enceinte, à l’antenne avec Valérie Damidot sur M6 pour son émission ‘’Y’a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis’’. Sur le plateau, une personne de la production demande à ce qu’on ne voie pas mon ventre rond. Valérie Damidot les a assassinés en leur expliquant qu’une femme enceinte ce n’est ni sale ni tabou. Il reste encore des gens qui sont choqués de voir une femme enceinte à l’antenne, et oui il y a une vraie pression. En radio beaucoup moins, c’est l’avantage.

De 2004 à 2008 tu as été l’animatrice principale d’une émission « Les Filles du Mouv’ » une émission de libre-antenne faites par et pour des filles, comment t’est venue cette idée ?

Et bien… c’est pas mon idée! C’est l’idée d’un homme qui s’appelle Frédéric Schlesinger, qui à l’époque était directeur du Mouv’. C’est quelqu’un de très drôle et très cash, un grand patron de radio. Un beau jour il me propose de monter une libre-antenne sur le Mouv’. En tant que radio du service public, on devait proposer des émissions que les autres ne faisaient pas, en l’occurrence toutes les libre-antennes étaient masculines, avec un esprit vestiaire de foot et sexuellement assez agressives. Frédéric m’a donc demandé de faire exactement le contraire. Je me suis retrouvée avec une standardiste et une technicienne, et en 2003 on lançait Les Filles du Mouv’.
C’était d’abord confidentiel puis il y a eu de plus en plus de filles qui participaient, et aussi pas mal de garçons. Je pense que ça leur plaisait d’être dans un environnement assez « safe », on se marrait mais on ne se moquait pas, on ne taillait personne. Et puis c’était une libre-antenne authentique. Sur les autres radios, pour dix auditeurs il y avait huit comédiens, c’est pour ça qu’ils avaient toujours des histoires de dingues dans leurs émissions! En tant que service public, on était très contrôlés et il n’était pas question de se payer des comédiens pour appeler. C’était la vraie vie. Certains soirs, c’était un peu chiant Les Filles du Mouv’, il ne se passait pas grand’ chose, comme dans la vie. Et on a eu des soirées mémorables, des fou-rires, des émotions, des larmes, des coups de gueule… Tout était authentique, c’est pour cela je pense que cette émission a marqué les auditeurs.
Ce qui est marrant c’est que toute cette audience a grandi et parfois je croise des auditeurs de l’époque qui me disent que c’était féministe, LGBT, mais à l’époque je ne m’en rendais pas compte. Je faisais ce qui me paraissait normal et juste. Ce n’était pas dans le cahier des charges d’être féministe et gay-friendly. C’était vraiment à l’instinct.

Si à l’époque c’est inconscient, aujourd’hui tu te revendiques ouvertement féministe…

Mon côté « féministe conscient » est arrivé quand j’ai eu Maya. Si le fait d’être une femme a pu me demander de bosser plus que les autres, surtout dans le journalisme musical qui est un milieu très masculin, je n’ai jamais eu de moments vraiment difficiles parce que j’étais une femme. Mais quand Maya est arrivée j’ai commencé à lire les nouvelles différemment, à me demander Mais comment ça va se passer pour elle ? Petit à petit j’ai commencé à être vigilante et à me dire qu’il était important de poser des jalons pour sa génération. Elle a trois ans et on est toujours dans un pays où règnent les injonctions sur comment une femme doit se comporter, s’habiller, penser… ça me dérange énormément. J’aimerais que tout soit réglé avant qu’elle ne soit grande. Disons que je n’étais pas militante, je le suis devenue. Maintenant c’est consciemment que je vais critiquer une décision ou une attitude avec lesquelles je suis en désaccord.

Notamment sur les réseaux sociaux ou tu n’hésites pas à poster coup de gueule, à retweeter ou à poster des messages engagés, c’est important pour toi ?

J’ai réalisé que les réseaux sociaux étaient une vraie tribune pour transmettre une idée ou faire réfléchir. Je ne dis pas que je vais changer le monde avec des tweets, mais tu peux apostropher des gens, tu as un certain poids. Je m’en suis rendue compte car des associations LGBT m’ont parfois saluée pour certains tweets. De toute façon pour moi les combats LGBT et féministe sont assez proches. Celui qui n’aime pas les femmes, il y a de grandes chances qu’il n’aime pas les homosexuels non plus : comme les femmes ils ne rentrent pas dans les cases du patriarcat et ils ont envie que ce cadre change. Je pense que sur certaines luttes, on peut complètement faire cause commune, le tout étant de ne pas voler la parole aux premiers concernés.

Qu’est ce que tu retiens de 4 ans de libre-antenne à échanger (presque) tous les soirs avec une jeune génération de femmes ?

Beaucoup de bonnes surprises. Je sortais à peine de l’adolescence quand j’ai commencé l’émission, je n’imaginais pas à quel point les ados étaient intéressants, pleins d’idées et intellectuellement très stimulants. Je voyais ma génération à moi qui perdait cette flamme, cette curiosité, « ce truc » qui finalement s’éteint assez vite. Très vite j’ai compris à quel point c’était précieux. Et si les jeunes ont certes les défauts de leur âge, ils dorment tard, ils râlent, ils n’en foutent pas une… ils ont une vision de la vie et un esprit très affuté. Ils n’ont pas forcément les mots pour le dire, mais plusieurs fois il y avait des questions qui arrivaient qui étaient très intéressantes, très justes et quasi philosophiques sans même qu’ils le réalisent. A cette époque je me suis juré de ne jamais négliger la parole des jeunes sous prétexte qu’ils étaient jeunes. Au final j’ai même réalisé qu’ils étaient plus malins que nous car ils n’ont pas tous les complexes qu’on peut avoir, ils sont plus libres.
C’est vraiment une expérience qui m’a fait grandir et qui m’a ouvert l’esprit. J’avais mes schémas, mes convictions et je pense que ça m’a rendue plus tolérante sur de nombreux points. Parallèlement je suis devenue très hostile aux personnes négatives. On les appelle comme on veut, les trolls ou autre, mais ces gens qui coupent les jambes des autres, qui pensent que tout est déjà joué, qui disent non à toutes initiatives, je ne supporte plus. L’idéalisme que porte la jeunesse est primordial et devrait être cultivé dans nos sociétés. Arrêtons de démolir la moindre tentative, arrêtons avec le pessimisme ! Tout le monde ne réalisera pas son rêve, c’est vrai, mais putain laissons au moins tout le monde essayer ! Dire à des jeunes de 13 ans, écoute soit raisonnable et prend le plan B, c’est tellement triste… Rien n’est plus précieux que d’avoir des rêves et des idéaux…

Texte : Justine Werbrouck
Photos : Guillaume Dassonville