« Liberté – diversité – frugalité » pourrait bien être la devise d’Ariane Grumbach.
Après avoir lu son livre, La gourmandise ne fait pas grossir, j’ai voulu en savoir plus sur cette diététicienne gourmande qui prône une façon de s’alimenter basée sur le plaisir. Exit le compte des calories, les bons et mauvais aliments et place aux choix, à la diversité et aux papilles : « on mange des aliments et non des calories! » Après quelques recherches j’apprends qu’Ariane est issue d’une formation HEC et qu’elle a passé vingt cinq années dans le marketing, c’est une reconversion qui l’a conduite dans le domaine de la nutrition. Pour ce premier portrait de YES SHE CAN je voulais partager avec vous le parcours atypique d’Ariane, mais aussi sa vision de l’alimentation. Rencontre avec une épicurienne des temps modernes.
Passer du marketing à l’alimentation il n’y a pas qu’un pas, mais aujourd’hui vous avez l’air plutôt épanouie…
Je suis mais alors terriblement heureuse de cette reconversion ! Mais alors là j’ai zéro regret ! Je me suis reconvertie à presque 40 ans, j’ai mis du temps parce que je n’avais pas de passion, je n’avais pas d’idée à priori sur ce que je voulais faire. Je me suis retrouvée à faire des études, à entrer chez Air France puis dans un cabinet de conseil. En fait j’avais un peu mis de côté l’idée qu’on pouvait avoir un métier passionnant. Quand je suis entrée chez Air France par exemple c’est plutôt par hasard. Si j’étais bien dans mon métier, les structures, et processus étaient assez pesants donc au final pas très épanouissants. Je suis donc partie dans le conseil, mais là encore ce n’était pas non plus un milieu qui me convenait. Je ne me sentais pas du tout commerciale. Et à un moment je me suis retrouvée, et je me suis dit : je ne peux pas faire ça toute ma vie. Je n’arrivais pas du tout à me projeter comme consultante. Ça ne me plaisait pas. Je me suis donc lancée dans un bilan de compétence, et je me suis retrouvée en face d’une personne qui voulait me mettre dans des cases… Ça n’allait pas du tout mais au moins ça m’a permis de me poser et de supprimer des options. J’avais envie de m’occuper de l’humain, c’était vraiment ça qui m’intéressait, j’avais fait de la communication, des études marketing, de la conduite du changement au final beaucoup de chose autour de l’humain. C’est donc presque naturellement que je me suis tournée vers les ressources humaines, même si au final je me suis éloignée de cette idée car j’ai rencontré des gens sinistres et blasés. Du coup j’ai tourné un petit peu en rond et sur les conseils d’une amie je suis simplement allée sur un site des métiers avec des listes et des informations sur les différentes professions, là je suis tombée sur diététicienne, et vraiment ça été « eurêka! »
C’est un métier auquel vous n’aviez jamais songé ?
Absolument pas ! C’est en rencontrant le métier que j’ai pris conscience que je m’intéressais à la nourriture. J’avais déjà songé à ouvrir un salon de thé, des choses autour de la nourriture mais c’était des idées qui me paraissaient totalement irréalistes. Enfin je ne sais pas, je n’allais pas ouvrir un restaurant, je ne suis pas assez bonne cuisinière, ça me paraissait un peu fou, et puis je ne voyais pas le modèle économique. Quand je suis tombée sur ce métier quelque chose s’est cristallisé. Tout a pris du sens. C’est une profession où je pouvais m’occuper de l’humain ET travailler dans le domaine de la nourriture. C’est vrai que mon intérêt pour la nourriture est ressorti à ce moment-là et ça a rencontré mon intérêt pour les gens. C’était vraiment « Banco ! » un métier qui va me permettre de faire les deux, génial!
Du coup je me suis lancée dans les études, j’étais tellement convaincue dès le départ, que je ne me suis pas posée de questions. Et si c’était vraiment limpide, ça n’allait pas pour autant être facile. J’ai fait les études en parallèle de mon emploi car je n’avais pas tellement les moyens de faire autrement. C’est un BTS assez lourd et c’est très scientifique, il y a de la biochimie, de la biologie, de la physiologie. Je travaillais le soir et le week-end. Pendant deux ans je n’ai vraiment rien fait d’autre. Une fois que j’ai eu mon diplôme j’ai voulu m’installer, je savais dès le départ que je voulais être indépendante. Pendant un an et demi je me suis mise à mi-temps le temps de lancer mon activité, et je me suis désinvestie de ma vie de consultante, mais au fond je savais que si je voulais vraiment me mettre à fond dans mon activité de diététicienne il fallait que j’abandonne le consulting. Du coup, même si mon ami me parlait de sécurité, de rester encore un peu, au bout d’un an et demi je suis partie. J’étais trop frustrée de ne pas pouvoir y mettre toute mon énergie. Donc j’ai basculé et j’ai fait des formations complémentaires. Quand vous dites que j’ai l’air épanouie, c’est que ce métier il est mais mille fois plus passionnant que ce que j’imaginais au départ ! C’est tellement individuel et compliqué la relation à l’alimentation qu’à chaque fois qu’une personne vient me voir c’est différent. C’est hyper intéressant et puis il y a une question de sens, d’utilité. Hier j’ai reçu un mail d’une personne qui est venue me voir il y a sept ans et qui me remercie encore de tout ce que ça lui a apporté. Recevoir des messages comme ça c’est hyper gratifiant…
On sent vraiment qu’il y a une vraie satisfaction à aider les gens…
J’ai fait beaucoup de formations qui tournent autour de la psychologie parce qu’avec le BTS il y en avait peu. Quand on tire le fil de la nourriture, on tire le fil de plein d’autres choses… Parfois on parle du boulot, de la vie quotidienne, des relations familiales, c’est vraiment au coeur de la vie des gens mais j’aime que le point central soit la nourriture. Je me forme à beaucoup de choses pour essayer de m’occuper des personnes le mieux possible. Je travaille beaucoup sur la reconnexion avec son corps, savoir quand on a faim, ou à l’inverse quand on est à satiété. Et puis surtout comprendre ce qui est lié à tout ça, est ce qu’on mange pour se réconforter, parce qu’on s’ennuie, parce qu’on a l’habitude de grignoter ou encore parce qu’on nous a dit de finir notre assiette. On peut aussi toucher à des choses plus complexes et là ce n’est plus forcément de mon domaine…
« Quand on tire le fil de la nourriture, on tire le fil de plein d’autres choses… »
En passant du marketing à la nutrition, quels ont été les plus gros changements ?
Je ne vois que du positif ! Je sais qu’il y a des indépendants qui sont angoissés, moi je ne vois que du bénéfice. Être ma propre patronne, ne pas avoir de compte à rendre, avoir le choix de dire non, de fixer ses propres règles et cette liberté là c’est extraordinaire! J’ai tellement pris goût à cette indépendance que parfois j’ai même du mal à y renoncer. Quand je suis sollicitée pour faire des partenariats, travailler avec des gens, faire des projets à plusieurs j’ai plus de mal, je goûte vraiment à l’autonomie. C’est moi qui décide en fonction de ce que je veux, de mon intuition, de ce que ça va m’apprendre ou m’apporter. Cette liberté est précieuse, et avoir gagné ça c’est génial.
L’autre changement c’est au niveau de la flexibilité de l’emploi du temps. Par exemple la dernière fois je suis allée voir l’expo Barbara en plein milieu de la journée, la contrepartie c’est que je travaille le samedi et plus tard le soir.
Ça été difficile d’arriver à cette indépendance ?
Ça s’est fait naturellement! En fait je pense ça a été facile car le métier me plaisait réellement. Si je ne me sentais pas du tout l’âme d’une commerciale, et je ne le suis toujours pas, je me suis mise à réseauter. C’est drôle parce que j’ai passé 20 ans en tant que salariée et je n’avais jamais fait ça. J’ai commencé quand je me suis installée, par exemple en allant à des déjeuners qui réunissaient une trentaine de femmes de tous horizons. On se présentait, on faisait une sorte de pitch et puis après on discutait, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à rencontrer des gens. Parallèlement je me suis aussi mise sur Twitter, et petit à petit j’ai eu des affinités avec des gens, je leur ai proposé de se rencontrer, et j’ai fini par organiser des déjeuners de twittos qui travaillaient dans le domaine alimentaire. C’est pour ça que je dis que c’était facile, ça s’est fait naturellement car je me sens à ma place, les choses se font sans que je ne me pose trop de questions.
Est-ce que vous avez eu des symptômes ou des signes qui vous disaient « il est temps de bouger » ?
J’ai une amie coach qui parle parfois de la théorie des lucioles, des petits signes pour trouver un métier, car effectivement ça ne tombe pas du tout du ciel. Je me rappelle fin 2004 je sentais que je ne m’épanouissais pas, et mon manager m’a demandé « Et toi tu te projettes comment ? » On me faisait sentir que j’étais vieille, et je sentais bien que je n’étais pas vraiment bien là. Il y avait de plus en plus de pression, on m’a proposé une promotion mais avec plus de travail et j’ai refusé. Le côté « marche ou crève » qu’il y a dans le conseil je sentais que ce n’était pas pour moi. J’ai rencontré des gens super qui sont toujours des amis, mais le management ne me plaisait pas, la pression, la nécessité de faire du commercial, de vendre des trucs dans lesquels je ne croyais pas. Il y avait une insatisfaction sous-jacente et à un moment je me suis dit qu’il fallait agir et faire quelque chose, mais je n’avais vraiment aucune idée. Quand j’ai fait le bilan de compétences, je n’avais aucune lucioles justement.
On parle de reconversion professionnelle, mais on pourrait parler d’un changement plus global, vous parlez parfois de « sobriété joyeuse » dans votre manière de vivre, vous pouvez nous en dire plus ?
En fait, c’est une prise de conscience qui est apparue avant même ma reconversion professionnelle. Je ne saurais pas le dater exactement, mais autour de 2003 – 2004, je gagnais très bien ma vie mais j’ai commencé à moins consommer, à me délester de beaucoup de livres, à en vendre et à en donner. J’avais envie de m’alléger un peu. À côté j’ai lu L’art de la simplicité de Dominique Loreau et c’était exactement ce que j’étais en train de vivre et ce que j’avais envie. Je sortais beaucoup, j’allais voir beaucoup de spectacles de danse, j’achetais beaucoup de fringues, de disques. Quand j’ai commencé les études de diététicienne je n’avais plus forcément le temps et parallèlement moins d’argent car j’ai pris trois mois sans solde pour faire des stages, puis après je suis passée à mi-temps. Mais je n’ai pas ressenti d’insatisfaction car mon métier me nourrissait j’avais beaucoup moins besoin de sortir, de dépenser de l’argent et là encore ça s’est fait assez facilement.
Et puis cette philosophie s’est radicalisée (rires) j’ai pris beaucoup de recul par rapport à la société de consommation. Je ne vais quasiment plus au supermarché, je suis exigeante sur ce que j’achète, j’essaie vraiment de décider à qui je donne de l’argent. Je m’efforce de défendre des choses qui me paraissent intéressantes et puis par ailleurs ça accompagne une réalité qui est que je gagne beaucoup moins d’argent.
Ce qui m’amène à la sobriété joyeuse, ça se traduit par une volonté d’être beaucoup plus dans le vivre et dans l’être que dans l’avoir. Par exemple j’offre depuis toujours des cadeaux comme des spectacles, des restaurants, des voyages des choses à vivre plutôt que des objets. Autre exemple, j’habitais dans un appartement avec une vue magnifique mais qui était ruineux car l’immeuble était en mauvais état du coup j’ai décidé d’emménager dans un appartement plus petit et je me suis débarrassée d’énormément de choses. J’ai organisé une braderie gratuite où j’ai invité mes amis, j’ai fait pas mal de vides greniers. Je me suis terriblement allégée, j’essaie vraiment d’être dans la simplicité. Ça ne veut pas dire que c’est minimal chez moi car j’aime les belles choses, mais c’est un peu comme pour les japonais pour qui il n’y a pas de différence entre l’art et l’artisanat, l’idée qu’un qu’un bel objet peut être utilisé. J’ai quand même quelques tableaux aux murs mais j’ai très peu de choses inutiles (rires).
De même que vous avez une philosophie de vie à contre courant, vous n’êtes pas non plus une diététicienne comme les autres…
Quand j’ai décidé de faire ce métier, j’avais envie de défendre le plaisir de manger. Durant le BTS il fallait apprendre les régimes, les calories des aliments, je savais qu’il fallait passer par là pour avoir le diplôme mais je savais aussi que ce n’était pas ce que je voulais faire. La deuxième année, quand il a fallu faire un stage j’ai contacté une personne qui appartenait à l’association – dont je fais maintenant parti – G.R.O.S (Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids) qui défend une approche sans régime et bio-psycho-sensorielle. Les études étaient vraiment une étape, aujourd’hui tout le monde peut s’installer et se proclamer « coach professionnelle », moi je sentais que j’avais besoin de légitimé et de passer un diplôme. En revanche je savais que ce n’était qu’un passage, le contenu ne m’intéressait pas. Ce n’était pas comme ça que je voulais travailler, donc après j’ai fait des formations pour travailler autrement.
Par exemple je travaille beaucoup sur la variété, sur l’organisation des repas, trouver les points de blocage, manque de temps, de connaissances. J’essaie de trouver tous les leviers pour que la personne ait un changement durable dans sa façon de manger et que ce soit compatible avec son mode de vie. A l’inverse des régimes qui fournissent un cadre très strict et quand arrive la reprise des habitudes: patatras…
C’est quoi une journée type d’une diététicienne gourmande ?
Il y a des journées qui sont vraiment faites uniquement de consultations, elles sont assez longues 45 à 60 minutes et nécessitent beaucoup d’écoute et d’attention donc je n’en fais pas plus de six à huit par jours. Je commence à 8 heures et termine vers 20 heures, mais il y a souvent des heures creuses j’en profite pour lire, rappeler des gens, travailler sur mon blog, faire de la compta, je prépare mes futures interventions ou parfois je m’aère l’esprit en me promenant… C’est la vie d’indépendant, ça n’est jamais fini, il y a toujours des choses à faire, c’est donc important de savoir renoncer.
J’ai une amie qui organise des petits déjeuners et elle m’a demandé d’intervenir, j’avais donc choisi comme thème « Comment faire quand on a plus d’idées que de temps ? » (rires) Et bien oui il faut renoncer. Pour vous donner un exemple, aujourd’hui j’ai deux grands sujets qui me tiennent à coeur, le bien manger pour tous, et les questions de la diversité corporelle. Des thèmes à traiter en plus du quotidien, car je dois continuer à lire des choses pour travailler avec mes patients, du coup j’ai organisé un séminaire avec moi-même.(rires) Une journée à se poser, à réfléchir. Et parce que la liberté c’est l’exigence, j’essaie toujours de faire des choses dont j’ai envie, qui m’enrichissent. À la fin de ce séminaire j’ai renoncé au sujet du bien manger, beaucoup d’acteurs s’occupent déjà de ces problématiques. J’ai fait le choix de traiter principalement les problématiques liées à la diversité corporelle, aux problèmes de la minceur, essayer de travailler avec les mères, les ados et surtout empêcher le premier régime ! Je vois trop de personnes qui revoient des photos d’eux vingt ans plus tôt et qui se disent « mais j’étais bien en fait », et puis à force du yoyo et de régimes ont pris 30 kilos…
Donc j’ai plein d’idées, j’aimerai aussi faire des ateliers de cuisine. J’ai la chance d’être dans un domaine où on a la liberté de faire ce qu’on veut mais plutôt que de travailler 20 heures par jour je préfère renoncer, pour moi c’est très important de dormir (rires), de voir mon compagnon, de ne pas vivre à 150 à l’heure, du coup et bien tant pis je fais moins de choses.
« Comment faire quand on a plus d’idées que de temps?
Et bien oui il faut renoncer. »
Y-a-t-il des choses de votre ancienne vie qui vous manquent ?
Il y a deux choses. La première c’est la machine à café. J’ai une amie qui a bien résumé un jour « twitter c’est notre machine à café ». Avant sur Twitter je postais souvent « bonjour twitter » et je faisais un jeu de mot ou mettait des petites phrases, maintenant je le fais un peu moins. Ça remplissait le rôle des gens qui se parlent le matin, des discussions entre collègues.
La deuxième chose, ce n’est pas vraiment pesant, mais c’est clair que je travaille plus tard le soir et le samedi, en fait je travaille quand les gens sortent du boulot. De même j’ai des moments de vacances un peu plus contraints, n’ayant pas d’enfants je partais en vacances au printemps et à l’automne mais maintenant je suis un petit peu obligée de me caler sur les périodes de creux.
Au final, la machine à café vraiment je le mets de côté car j’ai vraiment rencontré un nombre de personnes incroyables depuis que je fais ce métier, de façon virtuelle ou réelle. Et puis j’ai très régulièrement des déjeuners avec des personnes qui gravitent dans ce domaine. Quant à la question des horaires et des vacances ce n’est vraiment pas grand chose par rapport à tous les bénéfices et l’intérêt professionnel que j’ai gagné.
Dans un article du Monde vous dites que votre mère n’était pas une grande cuisinière mais qu’elle vous a transmis le plaisir de manger. Avez-vous d’autres personnes qui vous ont inspirée ou guidée ?
Alors effectivement mes parents m’ont donné le goût des bons produits mais ma mère ne m’a pas appris à cuisiner du tout ! (rires) Mon compagnon par exemple a eu une vraie transmission culinaire, donc il a plus d’assurance et de précision dans la cuisine que moi… (Elle réfléchit)
On m’a déjà posé la question, mais je n’ai pas de grands modèles. En revanche il y a des rencontres, quand j’étais consultante par exemple des personnes qui ont fait figure de mentor, des personnes avec qui je pouvais parler ou échanger. Dans mon domaine je n’ai pas non plus d’inspiration, il y a des gens que je lis, que je trouve intéressants mais inspirants c’est trop fort…
A l’inverse, vous avez un blog, un compte Instagram où vous postez régulièrement est-ce pour inspirer les gens ?
Oui, quand j’ai créé mon blog c’était pour partager des articles et des convictions. Au début je publiais très peu et il s’est passé deux choses simultanément. J’ai lu un article de Garance Doré qui publiait tous les jours, et j’ai vu le film « Julia et Julia » avec Meryl Streep où une jeune femme a la vie totalement déprimante tombe sur un livre de cuisine et commence à publier quotidiennement les recettes une à une. C’est à ce moment où j’ai entrepris « un plaisir gourmand quotidien », c’était pour me discipliner et pour inspirer et dire « regardez on peut bien manger tous les jours et ce n’est pas compliqué ». J’ai fait ça pendant plus d’un an et après j’ai ralenti.
Quand je me suis mise sur Instagram c’était un peu la même idée, si je parle d’un resto c’est plus pour rendre hommage, donner des bonnes adresses, et quand je parle de la cuisine en effet c’est pour donner des idées simples. Je vois beaucoup de gens qui viennent me voir et qui n’ont aucune idée de plat, de recette, alors que c’est infini! Du coup j’aide les gens à se constituer un répertoire culinaire.
Quand on lit votre livre, vos articles et qu’on suit votre fil twitter on sent une volonté de déculpabiliser les personnes dans le domaine de la nourriture…
C’est pour ça que j’ai commencé le blog . Je voulais faire des articles de fond, d’autres pour protester par exemple celui contre le régime DUKAN. Et puis à un moment donné j’ai senti que j’avais moins de temps et quelqu’un m’a parlé de Twitter, mais l’alimentation est un sujet brûlant, et pas toujours évident à traiter sur les réseaux sociaux…
Récemment j’ai décidé d’être positive, et d’arrêter de m’énerver, je viens de lire un livre du journaliste Guy Birenbaum, Petit manuel pour dresser son smartphone, et il y a cette idée intéressante « ne vous indignez pas ». Tous les gens qui rentrent dans des polémiques à n’en plus finir et en face des gens qui s’emballent ça prend une énergie dingue ! Des fois il vaut mieux laisser tomber et réfléchir avant de rentrer dans un débat, en se disant bon ça n’en vaut pas tellement la peine finalement.
Globalement, j’essaie de lutter contre les croyances, je travaille beaucoup sur la culpabilité. Il y a une quête de perfection ambiante, les femmes sont toujours coupables de tout, elles sont coupables quand elles mangent une pizza, quand elles mangent des pâtes, quand elles mangent du chocolat, quand elles ratent une séance de sport donc je dis stop on se calme. D’abord il n’y a pas de mauvais aliments, on peut manger de tout donc ça c’est la première chose. Et puis la culpabilité ça n’entraine qu’un cercle vicieux de mal-être donc il ne faut pas culpabiliser… Si on a fait quelque chose qui ne correspond pas à la façon dont on a envie de manger on essaie de comprendre pourquoi. Est-ce parce qu’on s’est trop privé, qu’on n’avait pas le choix ou parce qu’on aime la pizza. Mais vraiment toujours essayer de comprendre pourquoi on fait les choses plutôt que de rentrer dans la culpabilité.
« Il y a une quête de perfection ambiante, les femmes sont toujours coupables de tout, elles sont coupables quand elles mangent une pizza, quand elles mangent des pâtes, quand elles mangent du chocolat, quand elles ratent une séance de sport donc je dis stop on se calme! »
Quelles sont les croyances auxquelles vous faites le plus souvent face ?
Il y a vraiment le diktat de la minceur, il est toujours là et il y est de plus en plus. Il y a un modèle unique de minceur et moi j’aimerai beaucoup qu’on nous montre un modèle de diversité. Face à ce modèle de minceur il commence à avoir tout un mouvement de body positivisme avec des femmes vraiment en surpoids. Je n’ai rien contre, mais je regrette qu’on ne montre pas les femmes « normales » c’est totalement absent du paysage de la mode et des médias. Je ne vais pas changer ce paysage en revanche je peux aider les femmes à s’armer contre lui et à prendre du recul.
Il y a maintenant le diktat du « healthy », mais qu’est ce qui est sain ? Tout ça n’est basé sur rien de scientifique. C’est sain de manger sans gluten, de retirer tout le gras, et maintenant le sucre c’est pire que la cocaïne! Autant d’affirmations qui n’ont aucunes justifications scientifiques sérieuses. Typiquement, en ce moment il y a de gros problèmes sur le beurre qu’on a diabolisé pendant 40 ans sur la base d’études qui se sont avérées pas sérieuses et apparemment téléguidées par des gens qui avaient d’autres intérêts. Et maintenant on déclare que le beurre c’est finalement bien, sauf qu’entre temps tout le modèle de production a changé, et quand tout le monde se remet à manger du beurre et bien le prix triple. Si ce n’est pas l’unique cause, il y a aussi la question des pays émergents qui en consomment de plus en plus, c’est une bonne illustration de ces modes qui changent tout le temps. La détox, le healthy, autant de mots derrière lesquels les gens mettent tout et n’importe quoi. Maintenant du moment où vous mangez quelque chose d’autre qu’un hamburger c’est de la détox ! Un phénomène dans les mots qui se retrouvent aussi visuellement, aujourd’hui j’ai des patientes qui me disent qu’elles sortent d’Instagram parce que ce sont des mouvements qui touchent aussi le rapport au sport, au corps parfait.
Je n’imagine même pas ce que ça fait sur les ados… Je ne peux pas me battre contre cette machine. Ce qui m’énerve profondément, c’est que les gens qui mangent sans gluten, sans ceci sans cela c’est leur problème, mais après qu’ils n’essaient pas de faire croire que c’est l’unique bonne façon de manger! Et puis il faut aussi arrêter de croire qu’on sera heureuse une fois atteint un certain poids. Il y a un bouquin canadien qui a un titre très évocateur A dix kilos du bonheur toujours l’idée que quand on sera mince on sera heureuse, alors que non, comme si une fois atteint on sera hyper séduisante, on aura plein d’amis, on trouvera du boulot.
Pour vous, d’où ces diktats viennent ?
Il y a beaucoup d’éléments qui rentrent en ligne de compte. La minceur c’est vraiment des états de société il y a eu beaucoup de choses par rapport à la femme qui travaille, qui veut être l’égale de l’homme, par rapport à des modes, par rapport aux mannequins c’est tout un mélange et une histoire.
Pour le healthy je pense qu’il y a beaucoup de choses qui arrivent du fait qu’on passe d’un extrême à l’autre. On le voit bien pour le veganisme et pour le gluten, l’industrie agro-alimenaitre est allée tellement loin dans le n’importe quoi et dans le pas sain du tout que les gens veulent reprendre la maitrise de leur alimentation. Et plutôt que de trouver, ce que je défends la voie du milieu, ils partent dans l’extrême inverse en disant on arrête tout. Pour reprendre l’exemple du gluten, il y a des gens qui peuvent avoir des problèmes de digestion avec du pain ultra raffiné, très blanc mais on peut aussi trouver du bon pain au levain! De même qu’on peut trouver des circuits respectueux des animaux, des gens qui travaillent bien qui aiment leurs bêtes. Travailler sur des changements plutôt que de dire que tout est pourri et tout arrêter.
Je pense aussi, et c’est ce qu’affirment certains sociologues et psychologues, que dans un monde où on ne maîtrise pas grand chose, le fait de reprendre le contrôle de son alimentation c’est un moyen de contrôler quelque chose voire même de se construire une identité « je suis vegan ». Du coup on crée des espèces de groupes qui ne peuvent plus vivre ensemble. Je suis pour la tolérance alimentaire, okay si les gens ne veulent plus manger de viande, plus de gluten mais qu’ils soient tolérants envers les autres. Je travaille par exemple beaucoup sur la souplesse, même si vous ne mangez pas de viande, peut-être que si vous allez chez votre ami et qu’il y a un petit peu de poulet dans le plat vous pouvez en manger quand même, essayer de garder la convivialité…
Si vous aviez quelques conseils à prodiguer pour nos lecteurs…
Il y a un conseil que je donne souvent à mes patients. C’est d’être gentil avec soi-même, de s’accorder de l’auto-bienveillance, attention ça ne signifie pas tout se passer et qu’on ne peut rien changer. C’est arrêter de s’auto-flageller, de se dire qu’on est nul, qu’on fait n’importe quoi et qu’on arrivera à rien. Essayer d’avoir un peu de douceur avec soi-même c’est vraiment quelque chose qui me paraît important.
Le deuxième conseil, peut-être plus en rapport avec la reconversion, mais valable pour toutes les autres choses de la vie, c’est de se faire confiance. Écouter son intuition, oui il y a le raisonnement et le cerveau mais il y a aussi des choses qu’on ressent qui sont du domaine de l’intuition et à un moment donné on sait ce qui est juste, on sait ce qui est bon pour soi, on sait que c’est le moment où il faut changer.
Texte : Justine Werbrouck
Photos : Guillaume Dassonville
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« La gourmandise ne fait pas grossir », d’Ariane Grumbach, Carnets Nord, 212 pages, 13 euros.
« L’art de manger », le blog d’Ariane Grumbach.