Heidi Beroud-Poyet est sexologue. Elle est aussi la co-auteur, avec Laura Beltran, du livre « Les femmes et leur sexe, ne plus avoir mal, renouer avec son désir, se sentir libre ». Un ouvrage qui rencontre un certain succès, au-delà même de l’hexagone, puisqu’une traduction espagnole est prévue pour octobre… Dès sa formation en psychologie, des violences conjugales à la prostitution ou la séropositivité, Heidi approfondit les questions autour des femmes et de la sexualité. Aujourd’hui elle est installée à son compte et reçoit au sein de son cabinet des femmes, mais aussi des hommes, elle écoute, informe et déculpabilise afin que chacun puisse trouver sa sexualité. Rencontre.
Si la révolution sexuelle des années 1960’s a permis de libérer la parole autour du sexe, il reste un domaine en réalité assez méconnu …
Il y a en effet énormément de sujet autour de la sexualité mais tomber sur la bonne information relève trop souvent du hasard. Il existe de très bons livres et sites avec des blogueuses qui font un super travail, mais l’information diffusée pour le grand public n’est pas toujours simple, et c’est vrai que les femmes connaissent mal leur sexe. Quand on demande à une femme de dessiner son sexe c’est souvent du grand basique et les parties qui sont fondamentales pour le plaisir sexuel, comme le clitoris, n’apparaissent pas. C’est toute la polémique récente. Il a fallu attendre la rentrée de 2017 pour qu’un manuel scolaire de SVT propose le schéma du clitoris ! C’est pourtant un organe interne de 10 cm ! Une grande partie de notre travail de sexologue consiste à informer nos patientes. Ce n’est pas seulement décrire les organes, mais aussi expliquer leur fonctionnement. Ce n’est pas compliqué, mais il faut avoir l’information.
Comment les femmes peuvent remédier à ce manque de connaissance ?
Commencer par regarder son sexe avec un miroir. Regarder mais aussi toucher. Je ne recommande pas forcément de se masturber, si ça vous donne du plaisir très bien, mais dans un premier temps appuyer sur le clitoris, mettre un doigt dans le vagin sentir que c’est souple, humide et chaud. L’important c’est d’explorer par soi même. Des études montrent que les garçons sont plus à l’aise dans le démarrage de leur vie sexuelle car ils se masturbent plus que les filles, ils connaissent donc leur sexe avant de rentrer dans leur sexualité. Ils se sont découverts avant de se faire découvrir par l’autre. Il y a aussi des sites de référence comme educationsexuelle.com. On peut y trouver des schémas et des animations 3D qui expliquent comment le clitoris insert le vagin, on comprend ainsi pourquoi l’idée qu’il existe des femmes clitoridiennes et d’autres vaginales est un non sens complet !
Un manque d’information couplé à une représentation de la sexualité où la femme est souvent cantonnée au rôle d’objet de désir.
C‘est l’héritage de siècles de domination masculine. Les hommes ont eu la chance de pouvoir s’approprier le désir et la pulsion sexuelle. Les femmes en revanche ont longtemps dû répondre à ce besoin sexuel. Cet héritage on le ressent encore aujourd’hui, même chez les jeunes femmes de vingt ans. Les choses commencent à bouger, mais il y a eu tellement de siècles de sanction qu’il faudra du temps. Aujourd’hui encore, dès qu’une femme s’autorise à exprimer son désir sexuel elle est sanctionnée par le regard social. Il y a cette double injonction, d’un côté il faut trouver le désir mais de l’autre il faut savoir le mesurer sinon le regard devient suspicieux…
Un héritage qui conduit aussi à une vision très pénétro-centrée de la sexualité ?
Oui car il a fait primer la satisfaction de l’homme sur celle de la femme. Il n’est pas rare de rencontrer des femmes qui n’imaginent pas un rapport sans pénétration. Comme si ce n’était pas complet. A partir du moment où il y a une excitation sexuelle, des caresses érogènes ou sexuelles voire un orgasme on est dans la sexualité. C’est cette même vision pénétro-centrée qui accouche de la performance. Avec un modèle où l’homme va avoir une érection très ferme et va pénétrer sa partenaire qui va jouir parce qu’il la pénètre. Une représentation assez pauvre, qui ne permet pas d’explorer les plaisirs de la sexualité et de la sensualité. Quand on reçoit des patientes qui souffrent de désir on entend souvent un certain désintéressement autour de la sexualité. Et on comprend ! Si le rapport s’en tient à la pénétration, quelques va-et-vient dans le vagin, aucun intérêt pour une femme !
En parlant de désir, dans votre livre, vous expliquez aussi que le désir n’est pas naturel et qu’il se travaille…
Oui ! Il y a un sujet récurrent chez les couples, et au fond c’est presque inévitable : tout le monde regrette le désir spontané du début. Il est tellement magique ce désir. Tout semble sans efforts. C’est parfois difficile à entendre mais ce désir, on ne le retrouve pas… Pour schématiser, il y a deux types de désir. Le désir spontané, où tout est facile et le désir réactif, celui qui se déclenche par stimulus. Ils sont divers, une bonne soirée, quelques mots doux, des échanges de sexto, des caresses suggestives… Ce n’est pas forcément des choses très compliquées. C’est dans ces moments là qu’on peut activer le désir. C’est un passage qui n’est pas souvent évident, mais à force d’expériences répétées il se met plus facilement en route. Par exemple, vous rentrez chez vous et votre partenaire vous approche, dans votre esprit l’idée d’avoir un instant sexuel vous effleure l’esprit, même si c’est une idée vague et que vous n’êtes pas dans un désir total il faut décider de pouvoir y aller. Les gens ont du mal à accepter, ils voudraient que ce soit facile. Mais il faut s’autoriser à lâcher prise, reporter le rangement ou toutes autres taches de sa to-do list, afin de se mettre dans un état de disponibilité sexuelle. Se mettre à l’écoute de ses sensations, de ce qu’on a envie de partager avec l’autre. Et puis ne pas hésiter à activer son imaginaire érotique et ses fantasmes. Il faut pouvoir le décider et ce n’est pas toujours évident.
Justement en parlant de fantasme, vous faites une différence entre désir et fantasme…
En effet le fantasme c’est l’imaginaire érotique qui va contribuer à mettre dans un état d’excitation sexuelle sur le plan mental. Ce sont les pensées qui vont permettre de basculer dans un état qui va nous amener à être disponible sexuellement. Il faut savoir que la sexualité fonctionne quand on est dans un bon état d’excitation physique et mental. Et pour atteindre cet état mieux vaut éviter les pensées plates. Si l’idée de faire une balade main dans la main avec votre chéri(e) est très chouette, ce n’est pas forcément excitant. Un fantasme est souvent transgressif. Et alors ? Ce n’est pas la réalité. Beaucoup de patients se censurent car ils confondent fantasme et réalité. C’est justement parce qu’il ne se réalise pas qu’il fonctionne. Autre confusion assez fréquente, l’idée qu’il faudrait absolument partager son fantasme avec son/sa partenaire. Vous pouvez mais il ne faut pas se priver d’avoir ses fantasmes à soi. C’est vraiment important de faire marcher cette excitation avec la tête, on ne peut pas compter que sur son corps. Plus on se connait, plus le désir est facile à activer. C’est de l’apprentissage. C’est normal qu’à vingt ans on ne soit pas à l’aise avec ça. Ce qui est formidable c’est que notre imaginaire est plein de ressources. C’est amusant de s’inventer des fantasmes !
Dans votre livre on peut aussi lire de nombreux témoignages sur la baisse de libido, les mycoses à répétitions, les douleurs pendant la pénétration. Le sexe c’est un peu la galère non ?
Oui il y a des galères, mais attention elles sont souvent passagères et concernent souvent le début de la vie sexuelle. Quand on ne connait pas encore très bien le fonctionnement de sa sexualité, et si on a eu mal, on peut vite laisser tomber ça. Encore une fois c’est normal et il ne faut pas s’en vouloir. Les découragements suite à la répétition de problèmes gynécologiques sont aussi nombreux. Avec des conseils de la part des professionnels qui ne sont pas toujours adaptés. C’est ce qui nous a donné envie d’écrire le livre avec Laura, parmi nos consultations nombreuses sont les femme à venir avec des douleurs. Elles sont malheureuses parce qu’elles se sentent seules. Le livre c’est aussi une façon de dire aux femmes qu’elles ne sont pas seules !
Enfin, si vous aviez un conseil à donner ?
Adopter la sexualité qui nous correspond. Se respecter et ne pas céder à l’injonction de performance actuelle. Ne pas confondre être libéré(e) et être libre de choisir sa sexualité.
Texte : Justine Werbrouck
Photos : Guillaume Dassonville
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Les femmes et leur sexe, Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran, Payot, 2017