J’ai connu Perla en lisant Ce que la vie m’a appris, un livre où elle partage son expérience et son recul à travers des sujets comme le travail, l’amour, l’amitié, l’argent ou encore l’ego. Et c’est dans son appartement, sur des sièges blancs immaculés que j’ai pu la rencontrer. Nous avons échangé autour de sablés qu’elle avait préparés (et qui étaient trop trop bons). J’aurais pu rester des heures à discuter avec cette femme d’une générosité dingue. Perla semble avoir vécu plusieurs vies, publicitaire, écrivaine, cuisinière, du Maroc à Paris, un entretien qui fait du bien.
Vous êtes habillée tout en blanc, j’ai pu lire que c’était tous les jours ainsi, une raison particulière ?
Je suis tous les jours en blanc ! C’est arrivé en deux temps. Je travaillais à Marie Claire et comme toutes les dames dans la mode j’étais habillée en noir, en bleu marine et en gris. On avait toujours l’air de veuves pleureuses ! (rires) Sincèrement je ne pourrais pas expliquer quand, ni comment je m’y suis mise. A un moment je me suis retrouvée à porter du blanc plus souvent. D’un tempérament plutôt radical et fidèle, ce réflexe est devenu quotidien. Ça a duré une dizaine d’années, jusqu’à ce que je rencontre Roméo Gigli (ndlr. Styliste italien aujourd’hui établi à Milan, ). Je suis tombée amoureuse de ses matières : blouses en soie vénitienne bordeaux, kaki, moutarde. Portées avec des costumes dans des matières et des coupes très masculines. Ce contraste signait une féminité absolue. Je l’ai adopté quelques années. Et puis il y a 25 ans j’ai repris le blanc et il ne m’a plus quitté !
Et là encore pas de raison particulière ?
Pas réellement, même s’il est vrai que ça permet de se simplifier la vie! Avec l’âge le besoin de simplification s’impose et libère. Qu’est-ce qu’on a tendance à se compliquer la vie ! Elle est beaucoup plus simple qu’on ne le croit. L’une des premières choses à comprendre, et qu’on met souvent du temps à entendre, c’est qu’il n’y a pas lieu de s’acharner à changer les choses qui ne dépendent pas de soi. Que ce soit son patron, son Jules, son quartier … On peut quitter un quartier ou une personne mais les changer non. Il est beaucoup plus simple de mettre son énergie dans ce qui est à notre portée : évoluer soi-même. Une fois qu’on a compris ça c’est simple !
Vous parlez de se simplifier la vie, c’est une façon de s’alléger…
C’est vraiment une deuxième notion clés. Je compare souvent les humains à un oignon. En avançant dans la vie on enlève des couches. Quand vous avez un oignon vous le pelez, les feuilles extérieures sont assez dures, au parfum puissant qui vous pique les yeux. Mais quand vous ne laissez que le cœur, à la cuisson c’est d’une tendresse et d’une douceur inégalées ! On met du temps, et, au fur et à mesure on se dépouille, on retire des feuilles, on s’allège.
Au final ça paraît simple la vie…
Une vie c’est quoi au final ? Quand vous avez du recul, et à 75 ans je commence à en avoir un peu. Une vie est faite de rencontres, que ce soit des hommes, des femmes, des textes, des lieux, des morceaux de musique… Ce sont elles qui vous pétrissent, vous fabriquent. Elles qui dessinent petit à petit cette mosaïque que nous sommes. Et c’est avec elles que nous travaillons, que nous créons, que nous aimons !
Vous parlez de rencontres qui nous façonnent, mais dans votre livre Ce que la vie m’a appris vous parlez aussi d’intuitions fondamentales qui ont forgé la personne que vous êtes…
Bien sûr la vie est faite de rencontres, qui elles mêmes viennent s’agréger autour d’une colonne vertébrale faite de votre éducation, votre jeunesse, les petits ou grands drames qui tracent une route… J’ai la chance d’avoir trois cultures différentes, je suis marocaine de naissance, j’y ai vécu 22 ans et ma famille est marocaine depuis des siècles. Je suis de culture juive car j’ai été élevée dans une vraie tradition judaïque. Enfin je suis de culture française, le Maroc était un protectorat donc je n’ai appris que mes ancêtres gaulois et je suis venue finir mes études en France… Le fait d’être tri-culturelle est une richesse. Et en réfléchissant, l’idée de faire confiance à mes intuitions provient certainement de la culture orientale. Chacun est le fruit de l’air qu’on respire, de la manière qu’on a de regarder les adultes vivre, du mimétisme qui s’en suit, presqu’à notre insu. Et dans mon cas, du « Inch’allah”, c’est à dire le destin. C’est l’idée qu’il serait écrit et qu’au final on ne ferait que très peu de choix personnels…
Très jeune vous décidez d’écouter vos intuitions…
J’étais dans une famille stricte, autoritaire, très joyeuse aussi. Et comme toutes les femmes de ma famille j’étais destinée à épouser un homme, à 18 ans, que je n’aurais pas forcément choisi. Ma mère s’est mariée ainsi à l’âge de 14 ans et ma sœur à l’âge de 18 ans. J’ai pris ça en horreur. J’ai donc quitté ma famille pour des raisons de profond désaccord avec mon père et j’ai eu la chance d’être accueillie par mes grands-parents. J’avais 14 ans et je me suis promise que ce destin n’était pas le mien, que je me devais d’être libre et autonome toute ma vie. Cette intuition s’est imposée et depuis je suis une obsessionnelle de la liberté.
Le couple occupe une grande partie de votre livre…
C’est un de mes fantasmes. Il y a une chose qui me tenait à cœur et qui est pour moi du registre de la folie : vivre un couple durable. C’est le genre de pari qui m’a toujours habitée et amusée. Aujourd’hui je constate que c’est non seulement possible, mais que cette expérience dépasse tout ce que j’avais pu imaginer ! Cette idée que tout passe et qu’au bout de trois ans pour certains, cinq ans ou sept ans pour d’autres le couple serait usé, c’est l’inverse de ce que nous vivons avec Jean Louis (ndlr Jean-Louis Servan Schreiber son mari). Nous mûrissons ensemble, comme des fruits, qui deviennent plus sucrés, plus délicieux. Mais les oiseaux peuvent les manger avant nous. Possible mais pas toujours vrai !
Vous dites aussi que les couples aujourd’hui se vivent comme des start-up…
Même si on n’est jamais responsable du moment et encore moins de la famille et de la société dans lesquels on naît, vous appartenez à une génération de l’éphémère. Je donne toujours cet exemple absurde mais signifiant, j’ai passé mes trente premières années avec des mouchoirs en tissu, puis les Kleenex sont apparus avec soulagement Je ne dis pas que c’était mieux avant, mais les différences sont importantes . Les jeunes gens d’aujourd’hui sont autonomes très tôt, libérées sexuellement, les femmes travaillent et au final une liaison avec un homme ou une femme, selon son orientation sexuelle, ne doit remplir qu’une case, importante certes : s’aimer et rendre la vie plus agréable, en ayant ou pas des enfants. Les bénéfices du type se nourrir, se loger, quitter sa famille, son foyer, sont le plus souvent obsolètes, il n’y a plus « que ça , le plaisir de vivre à deux » qui soit en jeu. Libérateur et exigeant à la fois. Se crée alors une confusion entre cette liberté et l’idée de « je n’ai pas besoin de toi, si tu me compliques la vie, je m’en vais ». Or l’ajustement de deux personnes demande infiniment de patience de temps et d’amour! C’est complexe un humain. Parce que c’est difficile, c’est attrayant, et c’est parce que c’est impossible qu’on le fait. Le couple me plait pour cela. Si on décèle une émotion, si on est nourri et habité par un sentiment pour une personne, il y a des ajustements et des renoncements à faire. C’est un travail au sens noble du terme qui se pratique au quotidien et qui nous rend meilleur. Seuls la pratique et le quotidien forgent une existence. Tant mieux si vous avez des moments extraordinaires, si vous savez les créer et les saisir, mais une vie est faite de l’ordinaire, du quotidien.
Vous employez souvent des métaphores culinaires, vous avez aussi publié des livres de recettes, la cuisine semble être un élément important pour vous…
La cuisine a toujours été présente autour de moi. De part l’image de ma mère dans un premier temps qui était une magnifique cuisinière et pâtissière. Notre vie était modeste et la cuisine mettait de la magie dans ce quotidien. Ce n’était pas des préparations exceptionnelles mais le goût et la joie qu’elle mettait à faire les choses. Et la façon dont ses amis l’adulaient pour sa cuisine… Toutes ces choses m’ont probablement marquée, et quand j’ai habité seule ou au début avec mon frère, je m’y suis mise spontanément. J’ai pris une poêle, une casserole et j’ai commencé. Sans recette, au fur et à mesure j’ai mis au point ma cuisine. Elle correspond à mon mode de vie qui reflète mes voyages, mes rencontres…
Et puis surtout la pratique, je reviens à la pratique car depuis quelques années maintenant elle est devenue nécessaire à ma joie de vivre et à mon équilibre quotidien. J’adore ça !
Souvent les personnes aiment cuisiner quand ils ont du temps, mais vous semblez aussi apprécier la cuisine du quotidien ?
Pour moi c’est un moment de méditation, c’est un moment de spiritualité car c’est un moment de concentration. Je fais parfois des ateliers de cuisine avec mes amis, on prépare le repas ensemble et on le partage mais j’aime aussi faire la cuisine seule. J’aime ce calme et ce silence. J’ai besoin de me recueillir, de grande plage de silence, de solitude. Depuis que je vis en couple, cette nécessité s’impose à moi. On n’a pas forcément envie de se séparer mais je le fais car je sais que c’est bon pour moi et pour nous. Par exemple il m’arrive de partir trois ou quatre jours. Si avec Jean Louis on passe souvent pour un couple fusionnel, on a vécu et travaillé ensemble, nous avons toujours eu chacun notre espace. Il est très important d’avoir ses univers, et même son territoire. Même tout petit, mais de se sentir un peu isolé ne serait-ce qu’avec une plante qui vous cache si c’est un espace ouvert. C’est essentiel car il n’y a rien de plus important que de se retrouver, mais pour se retrouver il faut savoir s’isoler.
Enfin si vous aviez un conseil à donner ?
Un de mes mantra depuis des années, qui me vient du sage indien Prajnanpad, c’est l’acceptation joyeuse de la réalité. Je m’acharnerais à transmettre cette règle de vie jusqu’à mon dernier souffle. Nous sommes tous gouvernés par la réalité. Le réel. Évitons de cultiver des illusions. On peut avoir des rêves mais fuyons les illusions. C’est ce que j’explique dans mon dernier livre, Les promesses de l’âge. Les crèmes, les régimes, les liftings, si vous le faites pour avoir bonne mine pourquoi pas, mais si vous croyez aux promesses de jeunesse éternelle alors vous êtes dans l’illusion. Prendre soin de soi le plus tôt possible dans la vie certainement, mais une fois que la vie vous place à une autre étape il importe de l’accepter. Pour pouvoir accueillir ce qui se présente, il faut renoncer à ce qui précède. Les mots renoncement et acceptation sont des injures en français, mais ils disent le contraire d’une faiblesse, c’est une victoire !
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Texte : Justine Werbrouck
Photos : Guillaume Dassonville
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Ce que la vie m’a appris, Perla Servan-Schreiber, Flammarion, 2017
Les promesses de l’âge, Perla Servan-Schreiber, Flammarion, 2018